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N°78 : LA FIÈVRE BLEUE DU PALOUMAYRE

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L’automne est revenu, et avec lui arrive l’époque des migrations d’oiseaux. Alors, dans le grand Sud-Ouest, on s’apprête à rejoindre la palombière. On repose les panneaux d’interdiction de pénétrer dans ces lieux réservés aux seuls pratiquants, qui sont situés sur des parcelles privées.


Faite de pièces de bois, recouverte d’un double camouflage, à la fois du houppier de l’arbre et des couvertures imitant du feuillage, cette cabane vient se percher au sommet d’une échelle ou d’un escalier, à 15 ou 20 mètres du sol. De ce fait, aucun regard extérieur ne peut l’atteindre. Cet espace est ainsi protégé. On peut également dire qu’il est réservé dans le sens où il constitue un microcosme au sein de la forêt. C’est un lieu préparé pendant deux mois et utilisé pendant six semaines consécutives lorsque l’automne s’installe. Puis, il s’endort jusqu’à l’été suivant. Cet abri rassemble donc des hommes autour d’une quête particulière, celle de la palombe. Il s’agit d’un jeu sérieux, d’une passion qui se tisse autour d’un territoire, d’un oiseau et de personnes amoureuses des traditions rurales. En effet, conformément à la pratique ancestrale la chasse à la palombe s’effectue de deux manières :  au posé, ou au tir au fusil.


Avant d’évoquer la chasse par elle même, il faut se rendre compte du travail fourni pour construire cette palombière qui dispose souvent de deux à trois étages. Il faut d’abord choisir l’emplacement qui doit comporter de beaux et grands chênes car la palombe aime à se nourrir de glands. Ensuite, il faut choisir l’exposition pour avoir le bon vent, celui qui porte les oiseaux. Et enfin, il faut qu’il y ait également un bon espace au sol, assez dégagé, pour que les palombes puissent se poser. Une fois que le lieu a été choisi, il faut passer à la phase de la construction de la tour et de ses chemins de desserte couverts de brandes.


La cabane se place sur des pilotis de métal et de bois. Sa toiture se compose de tôles ondulées et de planches, ses murs sont recouverts de planches et parfois de vitres. Cette construction répond à des obligations matérielles et techniques, car la construction doit atteindre une hauteur suffisante afin de se positionner au niveau de la cime des arbres, et ainsi avoir une vue sur l’horizon. Elle vient se placer au sommet de pylônes solides. Les hommes doivent disposer de suffisamment d’espace pour y tenir à plusieurs, et suffisamment de confort pour y passer de longues journées à attendre des passages de gibier.


La grande pièce du bas est à la fois la cuisine et la salle à manger, c’est le lieu où l’on se rassemble pour déjeuner. On y trouve donc du mobilier assez sommaire, une table, des chaises et une cuisinière à bois. C’est également là que se tient le garde-manger et les bouteilles de vin. Le feu de la cuisinière est indispensable : il sert pour la préparation et la cuisson des repas et du casse-croûte, mais aussi il est une source de chaleur, car le froid de novembre traverse les murs, et s’invite par les ouvertures. Ce feu fait de la plombière le symbole de la maison. En effet, sous l’aspect du partage des repas, il est le lieu où les chasseurs se retrouvent pour discuter des informations sur la vie locale. L’entretien de la mémoire passe par des récits et des histoires. Ces derniers participent au lien entre les différentes personnes présentes.


Le deuxième étage sert souvent à stocker du matériel pour entretenir la palombière. Il s’agit de scies, de marteaux, de pointes, et du fil de fer, pour consolider les tunnels de brandes qui permettent de se déplacer d’un point à un autre sans être vus, mais il y a aussi des élagueuses et des tronçonneuses et du carburant. Il sert aussi à suspendre les manteaux de pluie, et à stocker le maïs nécessaire pour nourrir les appelants ou appeaux, pigeons conservés en captivité durant l’année, et qui servent à faire poser les vols au sol, de manière à les attraper ensuite aux pantes avec des filets.


Ces appeaux domestiqués et élevés par les chasseurs sont attachés sur un support, un petit plateau appelé raquette, balancier ou palette. L’appeau est soit un pigeon d’élevage (pigeon colombin), soit une palombe « domestiquée ». Monté chaque matin et redescendu le soir, l’animal est ainsi positionné afin d’attirer ses congénères sauvages. La raquette est reliée au poste de guet par un système de câble ou de cordes, et c’est en tirant sur la manivelle correspondante que l’appeau perd momentanément l’équilibre et bat des ailes pour se rétablir.


Enfin, on arrive au troisième étage qui est nommé poste de guet. C’est là que l’on sort au plein air. il y a juste une ouverture rectangulaire dans une des parois de la cabane, qui fait office de fenêtre et qui permet d’observer le ciel pour guetter les vols au loin, et activer les appeaux. Devant cette ouverture principale, là où s’effectuent les tirs, les arbres sont taillés de manière à former « un plateau ». Ce terme utilisé par les chasseurs représente la vue sur laquelle va se dérouler la chasse. En effet, d’un côté il y a  les appelants fixés sur des arbres qui sont activés par des cordages, au sol il y a les pantes avec les filets censés capturer les palombes posées, et au troisième étage il y a les tireurs qui abattent quand ils le peuvent les palombes égarées, parfois en recherche d’un vol plus massif.


Parfois, à l’écart de la plombière, à environ une centaine de mètres, également accroché à la cime des arbres, se situe un poste secondaire d’observation. Cet espace n’a qu’une fonction utilitaire : il sert à repérer les vols de retour c’est-à-dire, quand les palombes n’ont pas pu traverser les Pyrénées, et qu’elles sont à contre sens par rapport à la voie normale de migration. Il sert à prévenir les collègues de chasse de l’arrivée d’un vol. Normalement cette pratique est interdite, mais un petit SMS est parfois utile !


Si l’on note une si forte concentration de palombières dans le Sud-Ouest, c’est parce que cette région possède une position stratégique. En effet, situés à cet endroit, les abris se situent au carrefour de deux voies de migration : « l’occidentale » qui longe les côtes Atlantiques avec des oiseaux venus de Scandinavie ou d’Europe Occidentale et « l’orientale » qui conduit des volatiles venant d’Europe Centrale (Russie, Pays Baltes).




Les locaux qualifient cette passion débordante pour la chasse à la palombe de maladie, et l’appellent « fièvre bleue » ou « palombite ». Cela signifie que les pratiquants ont du « sang bleu » dans les veines, c’est-à-dire du sang à la couleur du plumage du gibier. L’animal les « anime », car il est au centre des préoccupations pendant plus d’un mois, les obligeant à délaisser travail et famille. Cet engouement est marqué par un fort investissement temporel et financier. pendant les six semaines correspondant à la durée légale de chasse. Alors, la palombière apparaît comme le lieu de la rencontre entre la nature et la culture, symbolisée et matérialisée par l’oiseau et le chasseur. C’est là que naît la fièvre bleue du paloumayre.


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