N°76 : LA TUAILLE DU COCHON CHEZ MES GRANDS-PARENTS
- La Nouvelle Morcenx
- 28 sept.
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Tous les ans, pour le jour de l’an, on procédait à la tuaille du cochon de l’année. On rassemblait toute la famille, les beaux-frères, les belles-soeurs mais aussi les voisins venus pour l’occasion donner un coup de main. Il fallait qu’il fasse bien froid, voire qu’il gèle, et que le cochon ne soit pas en rut, car sinon c’était le gage que la viande serait gâtée, voire échauffée par ce trop plein d’hormones. Les conditions requises, chacun savait ce qu’il avait à faire.
Mais, le porc gras dans sa soue sentait venir son dernier jour. A l’aube, dès que l’homme qui faisait office de boucher arrivait, il fallait tirer la bête de son enclos avec des cordages passés dans son anneau nasal car il n’avait pas l’intention de se laisser faire. L’attraper nécessitait la force de plusieurs hommes. Alors les plus costauds s’y mettaient tandis que le porc commençait à crier et à se débattre.
La bête, qui avait été engraissée dans le seul but de nourrir une famille complète durant une année, approchait les 160 kilos. Il ne fallait pas se louper, et surtout le maintenir vigoureusement. Pendant que le boucher lui tranchait la gorge, il était dans la tradition qu’un jeune enfant lui tienne la queue, sauf si bien sûr le plus jeune était trop fragile, ce qui était la honte pour lui. Le sang récolté allait servir à la confection des boudins, et ma grand-mère le récoltait sans cesser de le touiller pour ne pas qu’il caille. Pendant ce temps, les jeunes enfants recevaient leurs étrennes, car c’était l’occasion de faire d’une pierre deux coups dès lors que l’on avait toute la famille réunie. C’était quelques bonbons dans de petits pochons transparents, rien d’exceptionnel, mais on y tenait. Et quand on ramassait un sou en plus, c’était le Pérou.
Une fois le porc mort, il fallait brûler ses poils et l’ébouillanter, puis racler sa peau avec des lames pour lui retirer ses soies, poils blonds particulièrement tenaces, aussi costauds que du crin. Son corps était disposé sur une maie (ou maïte, en patois landais), et deux personnes se mettaient alors à le raser entièrement. La propreté était de mise, et même de rigueur. Pendant ce temps là, les femmes faisaient bouillir des chaudrons d’eau pour nettoyer les intestins, et anticiper la fabrication des boudins.
L’officiant boucher travaillait ensuite à le dépecer, à le découper par morceaux, tandis que chaque organe intérieur de l’animal était donné aux femmes pour en faire des saucisses, des saucissons, du lard pour l’année, mais aussi de la sauce pour nourrir tout le monde le midi et le soir, lors du banquet familial. Et tandis que l’on faisait ripaille, et que l’on buvait le vin de la treille, une affreuse piquette à déchausser les dents, le grand-père sonnait déjà la charge car il fallait reprendre le boulot, chacun à son poste, sans trop s’éterniser à table à lever le coude.
Tout ce travail durait deux jours pendant lesquels les femmes nettoyaient et raclaient l’intérieur des boyaux, passaient au hachoir à viande tous les morceaux de choix, les mélangeaient avec des aromates, tandis que les hommes préparaient les futures salaisons, épaules, jambons, côtes, côtelettes et autres rôtis, et transportaient les kilos de sel nécessaire à leur conservation au saloir. Rien ne se perdait. C’était ça la vie en autonomie. La ferme nous nourrissait, le cochon, la volaille (poules, oies, canards, pintades et dindons ), les lapins, les vaches et le cheval pour labourer les terres, faire le foin, et nous promener avec la charrette. Il servait aussi pour aller en forêt chercher les sceaux de résine que mon grand-père résinier récoltait .
Pendant que tout le monde s’affairait, nous, les enfants, on jouait toute l’après-midi au ballon dans l’herbe avec la vessie du porc que le grand-père avait gonflé avec une pompe à vélo. Cela nous allait grandement car personne ne nous surveillait, trop occupés qu’ils étaient à confectionner la charcuterie et autres cochonnailles des jours à venir, les délicieux pieds de porc ou les tripes onctueuses. Ma grand-mère elle aussi faisait des pâtés et des terrines entourées de crépine, et cuite dans des récipients en terre. Elle travaillait beaucoup car c’est sur elle que reposait tout le travail domestique de la tenue d’une maison de campagne.
Cette façon de commencer la nouvelle année en remplissant le garde-manger, et voyant pendre au plafond toute la charcuterie destinée au séchage, était la garantie que quoi qu’il arrive on avait des réserves et on pourrait manger. Les greniers étaient plein de patates et le cellier de conserves de fruits et légumes en bocaux. Tout irait pour le mieux. Le temps était venu d’acheter un nouveau petit cochon au marché à bestiaux pour l’année suivante. Et ainsi se passait le cycle des saisons.




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