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N°74 : COMMENT TROUVER UN MARI APRÈS LA GUERRE (chapitre 4)

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Nous sommes en 1915, à Paris, en plein conflit mondial. La morcenaise Marie Laparcerie (1878-1959) rédige un texte subtil et engagé « Comment trouver un mari après la guerre ». Ce texte, relevant désormais du domaine public, est disponible grâce au travail de la Bibliothèque Nationale de France qui l’a numérisé en 2017 (source gallican.bnf.fr/BnF).

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Chapitre 4


J’allais arrêter là mes dissertations sur la femme et le mariage, quand je reçus la visite d’une toute jeune amie.

-Voulez-vous me donner un conseil ?

-Avec plaisir, si je le peux.

-Il s’agit de mon « filleul »… oui, de mon « poilu », vous savez… celui avec qui je corresponds depuis six mois.

-Bien.

-Il est venu à Paris, permissionnaire ! Je l’ai vu !… Vous devinez le reste.

-A peu près… On se plaisait déjà beaucoup par lettres… la sympathie est devenue un grand amour.

Elle avoua, troublée :

-Mon Dieu, c’est tout à fait ça.

-Eh bien !… Quelque chose s’oppose-t-il à votre mariage ?

-Non !… c’est-à-dire… Enfin, voici : il a été blessé aux Eparges. Oh ! citation à l’ordre du jour, croix de guerre avec palme, médaille militaire, il y a de quoi être fière de lui ! Malheureusement, le pauvre et vaillant garçon y a laissé un bras.

-Ah !

Je savais maintenant pourquoi elle était venue. Mais j’attendis, circonspecte, qu’elle parlât de nouveau.

Et je songeais aussi, que malgré ma prétention à traiter ce livre le mieux possible je n’aurais pas moins passé sans m’en douter, n’était la visite de cette petite, à côté de la question la plus brûlante et la plus attachante qu’il convenait de traiter…

Qu’est donc notre ingéniosité d’auteur, à côté des drames vécus que nous frôlons à toute heure !… Voilà où nous puisons de quoi réfléchir et rêver !…

A quoi bon toute mon expérience de laquelle je me suis recommandée pour donner des conseils à mes soeurs cadettes, et que furent toutes les phrases que j’employai à cet effet, puisque je n’ai pas su prévoir la détresse de cette âme féminine venue, timidement, chercher un secours près de moi !

Elle, cependant, se décidant tout-à-coup :

-Vous l’épouseriez, vous ?

-Est-ce que le coeur vous en dit ?

-Oh le coeur !… oui.

Et ce fut très affirmatif.

Je poursuivis :

-Alors ?

-Le coeur !… Mais…

-Je devine !… Le coeur, mais pas l’amour-propre, hein !… Vous avez peur que vos petites amies ne jasent ou vous désapprouvent…

Elle leva sur moi un regard à la fois navré et ingénu :

-C’est très mal, n’est-ce pas ? Et pourtant, reprit-elle avec vivacité, comme nous nous entendons bien tous les deux !… Il est si bon !… Et puis, très instruit, très intelligent !… Et si gentil, si gentil !…

Elle s’animait. Elle ajouta plus bas, baissant la tête :

-Ah oui, le coeur m’en dirait !…

Alors, je lui pris affectueusement les mains, et la forçant à me regarder en face :

-Petite « grosse bête ». Quand il s’agit de votre bonheur, c’est donc aux autres que vous pensez… Et puisque malgré ce bras mutilé, tout votre être vous pousse vers ce brave garçon, n’êtes vous pas fière plutôt, de la tâche admirable, de la tâche sacrée, à laquelle le hasard vous a destinée !

-Oui, oui !… supplia-t-elle doucement et en fermant les yeux, parlez !… parlez !…

Et ces paupières closes, ces lèvres où s’ébauchait un faible sourire, toute cette physionomie inspirée par une pensée intérieure, me rappela, je ne sais pourquoi, ces visages extasiés de soeurs de charité, dont le regard semble voir plus claire et plus haut que le nôtre…

-Je ne fais pas à la femme française, lui dis-je, l’injure de croire que l’amour qu’elle aura donné ou promis avant la guerre, diminuera, par la suite, si le mari ou le fiancé revient mutilé. Les filles de France portent trop en elles, en naissant, le goût de notre froment et de nos vignes juteuses, pour éprouver des sentiments aussi peu généreux. Plutôt enthousiastes, souvent quelque peu exaltées, elles poussent tout sentiment à l’extrême : l’extrême, dans ce cas, c’est qu’elles aimeront davantage, j’en suis sûre.

« Quand aux autres !…

« Les conseiller est délicat… chacune saura mieux que moi ce qu’il faut faire… Vous-même, vous avez hésité… pourtant, même sans me consulter, vous auriez fini, c’est certain, par vous décider.

(Ici je sentis une pression de la main fluette qui tenait la mienne.)

« Mais il me semble que celle-là, qui, libre de choisir, aura su vaincre l’inévitable mouvement réflexe que nous arrache la beauté disgraciée, celle-là, dis-je, aura droit à toute admiration, à notre respect…

« Et je crois aussi que, tout calcul fait, elle-même y trouvera son compte. Vous le savez malgré son amour, ses bonnes intentions, l’homme se fixe difficilement. Mais ici, conscient de sa faiblesse, la reconnaissance qu’il gardera à sa femme et aussi, pourquoi n’en pas convenir, la crainte de trouver moins d’influence et de sollicitude ailleurs, l’attacheront à tout jamais.

« Et que leur demandons-nous, sinon, mon Dieu, de nous rester fidèles.

« Je voudrais que tu redevinsses pauvre » s’écriait une jeune femme, devant son mari que le travail enrichissait, mais que le luxe rendait indifférent et léger.

« Et lui, s’en allait répétant : « Elle veut que je redevienne pauvre ! Peut-on être bornée à ce point ! elle a tout ce qu’il lui faut à présent, des toilettes, des bijoux, des domestiques, et elle veut que je redevienne pauvre ! Elle ne comprend rien. »

« C’est lui, la brute, qui ne comprenait pas ce mot admirable de femme. »

« C’est qu’il faut aimer vraiment, voyez-vous, ou avoir aimé, pour saisir le sentiment subtil, qui nous fait, par instants, souhaiter d’avoir un compagnon laid, difforme, malheureux, afin que nulle autre ne nous le prenne… »

« Eh bien, à vos jeux, mesdemoiselles, faites vos jeux… c’est le moment. »

« J’en ai déjà vu pas mal de ces mariages, décidés et accomplis, ainsi depuis la guerre, entre de belles jeunes filles et des amoureux mutilés. Et que les raisonneuses ne se hâtent pas d’expliquer et de conclure. Nous savons aussi bien qu’elles ce qu’on peut objecter. Qu’elles songent, plutôt, que ces maris déjà retenus, c’est pour elles autant de moins à choisir… »

« Je dis plus : en acceptant d’être pour un malheureux, la fée bienfaisante qui redonne l’espoir, la joie, le goût de la vie, la femme ne cédera pas seulement à la pitié, à sa bonté naturelle… elle obéira bel et bien à l’amour… vous en êtes la preuve, ma chère petite amie… »

Elle resta muette, mais deux yeux humides s’attachèrent sur moi.

« Nous ne savons pas, nous autres, nous donner à demi… toujours le coeur l’emporte, et notre regard ne voit, de l’être que nous aimons, que ce que nous voulons voir… Nous nous attachons à l’homme, malgré ses imperfections, quelquefois malgré ses tares… Il nous arrive de le suivre jusque dans le mal, jusque dans le crime… nous l’accompagnerons, allègrement, dans la douleur. »

Je m’arrêtai… le front dans ses doigts, ma petite amie sanglotait.

-Eh bien, ma chérie, que vous prend-il ?

Elle s’empara de mes mains, presque avec brusquerie :

-Promettez-moi, promettez-moi … (Vous le verrez, je vous le ferai connaître)… promettez-moi donc de ne jamais lui dire… mais jamais, entendez-vous, jamais !… que j’ai pu hésiter un instant…

-Je vous le promets. Mais n’exagérons pas, ce ne fut pas un crime.

Elle s’était levée, transfigurée :

-Presque !…

Ce n’était plus la jeune fille timide du début, ce n’était plus ce coeur complexe d’enfant, venu pour chercher un appui près du mien. J’avais une femme devant moi.

Je la reconnus : c’est elle que nous frôlons chaque jour, vêtue de soie ou qui sort en cheveux; elle doit avoir ses travers et ses défauts; nous la détesterions peut-être si nous la connaissions. Elle est sans intérêt pour nous, passants…

Elle n’en est pas moins celle dont le coeur, l’âme et la chair, font les enfants de France - c’est-à-dire des héros.


Paris 1915.


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