top of page

N°73 : COMMENT TROUVER UN MARI APRÈS LA GUERRE (partie 3)

ree

Nous sommes en 1915, à Paris, en plein conflit mondial. La morcenaise Marie Laparcerie (1878-1959) rédige un texte subtil et engagé « Comment trouver un mari après la guerre ». Ce texte, relevant désormais du domaine public, est disponible grâce au travail de la Bibliothèque Nationale de France qui l’a numérisé en 2017 (source gallican.bnf.fr/BnF).

…………………………………………

Chapitre 3


Et maintenant, supposons votre beau rêve réalisé !…

Les fleurs blanches sont fanées, les lumières de l’autel éteintes, l’ivresse des premiers jours passée.

Vous voici solidement, vous le croyez du moins, installées dans votre nouvelle existence.

solidement ?… On ne l’est jamais.

Outre qu’on voit des jeunes mariés se lasser très vite de leur femme, (nous dirons tout-à-l’heure pourquoi) qu’une coquette, qu’une amie perfide, s’interpose avec de mauvaises intentions, entre vous et votre mari, et voilà votre bonheur menacé.

Il faut se prémunir contre ces dangers fréquents auxquels tant d’infortunées doivent leurs larmes.

Toute femme devrait garder, près du mari qu’elle veut retenir, ce charme séducteur, dont elle s’appliquait à user, durant ses fiançailles.

Certaines au contraire, passent du jour au lendemain d’une amabilité extrême à une apathie qui revêt l’aspect de l’indifférence; et l’épouse banale et sans gaité, ne rappelle plus rien à l’époux, de la fiancée avenante qui l’avait charmé.

Il semble que la course au mari finie, le but atteint, elles n’aient plus qu’à se reposer dans une douce quiétude.

C’est encore heureux quand elles n’essayent point de faire de l’époux leur esclave ou leur jouet.

Etonnez-vous alors que celui-ci aille chercher ailleurs une consolation à sa déception.

Le mal vient souvent de l’éducation que la femme reçut au foyer paternel.

Nous savons tous de quel amour, presque exagéré, les parents français entourent leurs enfants… Et, souvent, Mademoiselle grandit fêtée, adulée, admirée comme une petite reine.

Sans parler ici des idées de luxe et de coquetterie que cette atmosphère développe en son esprit et dont le mari sera la victime plus tard, elle arrive à seize ans, à vingt ans, croyant que tout lui est dû.

Cet état d’âme fait réfléchir les jeunes gens : ils craignent de découvrir dans la fiancée qui les séduisit un soir de bal, la personne cassante et personnelle qu’ils connaissent pour l’avoir déjà aperçue près de leurs aînés mariés.

Dans un salon, où j’étais en visite dernièrement, une dame contait son chagrin de voir son fils, jeune, riche, séduisant, épouser une femme beaucoup plus âgée que lui, pauvre, à peine jolie, et laisser, pour elle, un parti des plus brillants.

  • Quelle aberration le pousse donc ? s’exclama quelqu’un.

  • Il me tient le raisonnement que voici, répondit la mère… Et malgré mon désespoir, je suis forcée de reconnaître qu’il y a du vrai dans ce qu’il m’explique :

« Je me méfie, me dit-il, de la fiancée que tu souhaites pour moi… Elle a été élevée dans l’adoration d’elle-même et dans l’ignorance qu’il lui faudra quelque jour rendre un mari heureux. Elle est jolie, séduisante : elle exigerait donc que je vive à ses pieds, et son père et sa mère ont été trop longtemps ses esclaves pour qu’un mari puisse espérer de l’assouplir aujourd’hui… Bref, ce ne serait pas une compagne agréable que j’aurais à mes côtés, au lendemain de mon mariage, mais une enfant gâtée, sans doute puérile, un petit être despote devant lequel je ne plierais jamais assez…

« Une femme moins favorisée sous le rapport de la fortune et aussi… de la jeunesse, est plus douce et plus conciliante… Est-ce reconnaissance, peur de nous perdre, elle s’efface devant nous, pour nous mieux aimer.

« Moi j’ai trouvé le dévouement et l’indulgence qui me rendent heureux… »

  • Et mon fils ajoute, poursuivit la mère :

« Vois-tu cette sollicitude passionnée, c’est un peu la tienne… Et c’est pour cela, sans doute, qu’elle me paraît si douce, et qu’elle me plaît tant !… »

Réflexion profonde que nous femmes-enfants ne sauraient trop méditer.

Si dès leur jeune âge, elles furent choyées à souhait, le mari qu’elles se donnent ne le fut pas moins - surtout par la mère.

L’homme a toujours besoin de tendresse et d’amour

Sa mère l’en abreuve alors qu’il vient au jour…


Tel, longtemps décrété infidèle et léger, ne le fut, que parce qu’il cherchait précisément la tendresse et l’amour dont il fut abreuvé, enfant.

Il subsiste, dans tout homme, ce besoin d’être consolé et bercé qui, tout petit garçon le faisait, au moindre mal, se précipiter, les bras tendus, vers sa mère.

Que les jeunes mariées ne s’y trompent pas : voilà leur première et grande rivale : la mère, qui, lorsqu’il s’agit de son fils, ne sait rien faire avec tiédeur, pas même apporter une tasse de tisane sans la remuer avec passion…


Et cependant, disons-le à l’éloge de la jeune fille française, malgré quelques exceptions, le mariage, même le mariage de raison, détermine le plus souvent l’amour dans son coeur, et les maris ne soupçonnent pas à quel point il leur est facile de se faire adorer de leur femme.

Dans la hâte d’aimer, celle-ci, se trouvant devant un amour permis, s’y lance éperdument, et l’exaltation qui la soulève, lui cache imperfections du séducteur.

De là, son application à se rendre aimable, à faire preuve de tendresse et d’abnégation.

Cette attitude ne manque pas de porter ses fruits; car, même léger, même s’il trahit, un homme hésitera, désormais, à désorganiser son foyer, dont une créature aimante et dévouée fait sa raison de vivre.

Qu’avec cela les années passent, que des chérubins viennent élargir le cercle familial, voici cet époux, ce père, lié par le devoir : à moins de cesser d’être un honnête homme, il n’a plus le droit, et il le sait, de secouer le joug pour s’affranchir.

Et c’est ainsi que, tout naturellement, par la tendresse et la douceur, on prépare son bonheur, et qu’on le rend durable.


« Mais, me direz-vous, si tant de sollicitude amoureuse et tant de bonne volonté, n’empêche pas les trahisons, que devient ce bonheur dont vous nous parlez ?… Il ne nous suffit plus. »

Ici je vous arrête, car nous abordons un point épineux de cette brochure.

Aucune de nous ne veut être trompée, c’est entendu. Nous sommes de cela, semblables à l’homme : mais, tandis que chez lui l’orgueil, l’amour-propre souffrent autant que la tendresse frustrée, c’est le coeur seul, qui, le plus souvent, supporte chez la femme, toute l’acuité de la blessure.

Que vous vous révoltiez d’avance à l’idée d’être trahie; que vous menaciez bien haut des pires représailles; que vous parliez de divorce avant, vous aurez parfaitement raison : un air de conviction sincère, peut inquiéter Monsieur et le faire réfléchir sur les conséquences d’un acte qu’il peut croire irréparable.

Mais une fois la faute commise, feignez l’ignorance ou pardonnez !… Oui !… en dépit de vos protestations, de votre indignation quand vous lirez ces lignes, je vous le répète, pardonnez !…

Un auteur a dit : « Le divorce est la seule chose un peu poétique qu’une honnête femme puisse faire aujourd’hui. »

Le divorce est parfois, peut-être poétique, il n’en n’est pas moins fatal à celle qui le commet à tort ou à raison.

En tout cas, cette boutade spirituelle d’écrivain était discutable autrefois, mais après la guerre, le geste « poétique » de la femme s’en allant parce qu’elle est trahie ou déçue, sera une imprudence et une maladresse.

Eh quoi ! Ce mari qui vous aura tellement disputé à des rivales; espéré dans la fièvre et l’inquiétude de ne pas le saisir; voulu avec toute la fougue de vos jeunes années, vous le laisseriez partir de la sorte ! Vous le jetteriez en le laissant libre, dans les bras de celle qui vous le déroba et qui guette l’instant où elle pourra se substituer à vous de manière définitive.

Ah ! patientez plutôt… pleurez, souffrez, gémissez, mais attendez !

C’est inévitable; votre époux se lassera tôt ou tard de votre rivale, car tout amour est destiné à mourir.

S’il est, en fait, libre de partir, rien ne le retient une fois sur la pente de l’indifférence; il s’y laisse glisser tout naturellement : c’est l’inconvénient des unions inavouées… L’amour qui ne peut s’évader aussi aisément du lien conjugal, se fait une raison et tourne en amitié : c’est l’avantage du mariage.

Oubliez-vous que cette amitié fait aussi partie du programme ! Et parce que la bonne foi de votre associé fait défaut sur un point, refuserez-vous systématiquement les autres profits ?

Outre l’amoureux, il y a, dans le mari, l’ami, le soutien, dont la présence vous assure une force morale et donne à votre personne un cachet officiel de dignité.

Vous laisseriez tout cela pour vous retrouver seule !… c’est-à-dire déchue au rang des déclassées et considérée un peu comme un être incomplet.

Car, lorsqu’une jeune femme n’a plus, à ses côtés, ses protecteurs naturels, le père et la mère, on cherche instinctivement le mari. Si on ne l’y voit pas, on éprouve à l’égard de cette solitaire un sentiment irraisonné de méfiance.

« Une femme perd toujours dans un premier mariage les plus beaux jours de sa jeunesse, dit Stendhal, et , par le divorce, elle donne aux sots quelque chose à dire contre elle… »

Dès lors, on vous marque moins de déférence, et, dans la discussion, le verbe des étrangers, de vos amis, voire de vos parents, hausse le ton, devient agressif - parfois malveillant- parce que l’on sait bien qu’il n’y a, près de vous, aucune grosse voix, pour répondre et vous défendre.

Il faut donc le garder à tout prix, ce mari !

Et, à moins d’une impossibilité absolue, s’accommoder de ses travers et de ses défauts, plutôt que d’abdiquer ! Et le garder encore, et le garder toujours, même en dépit de ses trahisons - lâchons le mot malgré votre grimace !

Oh naturellement ! Je ne vous conseille pas d’en révéler rien aux intéressés. Ce serait par trop les encourager à mal faire.

Je vous conseillerais, plutôt, si cette brochure tombait entre leurs mains, d’élever bien haut la voix contre moi, et de me renier et de me maudire.

Mais, au fond de vous-mêmes, ne remettez pas ces conseils aussi exorbitants qu’ils vous paraissent, avant de les avoir bien pesés.

Et tant mieux si, quelque jour, ils arrêtent votre juste colère, devant l’époux coupable par faiblesse ou par légèreté, et s’ils détournent votre esprit des résolutions brusques dont vous seriez les premières à souffrir ensuite.

Votre lot ne sera peut-être pas parmi les meilleurs; mais, outre qu’il y a un certain héroïsme, et, partant, une sorte de satisfaction à se tenir à la place qu’il a plu au sort de nous assigner; outre qu’il est dangereux de se rebeller contre la destinée, qui peut nous broyer dans ses airs inexorables, il faut vous convaincre, parce que c’est la vérité, que même les demi-bonheurs sont préférables à la solitude qui fait le vide autour de la femme sans foyer et la met en état d’infériorité, vis-à-vis d’elle même et des autres.

Combien peu de ménages, du reste, et non point parmi les moins unis, sont exempts de cette trahison de l’homme !

Je me suis laissée dire que la femme la moins trompée est, en réalité, celle dont le mari est le plus habile à mentir.

D’autres épouses pardonnent ou se taisent par fierté, par devoir ou esprit de sacrifice !

Et puis, les années se succèdent; avec le recul du temps, tout s’atténue et se nivelle, prend sa véritable importance.

Et la femme, ayant plus ou moins pardonné et fait plus ou moins de concessions, est heureuse de se retrouver, au seuil de la vieillesse, près du compagnon qu’elle a su garder.

Les enfants la quitteront : les filles s’en allant avec l’époux; les fils créant, à leur tour, un foyer; mais le mari lui restera, et le mariage aura fait ce miracle de lui assurer un ami jusqu’au terme du voyage.

Cet avantage mériterait à lui seul, tout le prix que vous attachez au mariage, mesdames, mesdemoiselles… Il vaut à lui seul, qu’une fois l’anneau nuptial passé à votre doigt, vous ne le laissiez plus glisser.

Je ne connais rien de plus émouvant, d’ailleurs, que la vue de ces vieillards qui, s’étant pris par la main en pleine adolescence, se retrouvent les années passées, toujours côte à côte…

Si leur union a débuté par cette exaltation amoureuse que l’habitude transforme, peu à peu, en estime et en tendre amitié; s’ils ont souri ensemble, inclinés sur le sommeil des nouveaux-nés; si, malgré les heurts et les malentendus, rien d’irréparable ne les a séparés, alors ils ont commun la joie le plus enviable.

Est-ce la faute à nos moeurs, à nous autres jeunes femmes, au divorce qui nous donne le courage de nous rebeller, mais il est évident que cette félicité échappe à beaucoup d’entre nous, tandis que presque toujours nos parents nous en offrent le reposant spectacle.

Et il faut bien que nous l’eussions aimée pour nous, cette félicité, et que nous la considérions comme la forme idéale du bonheur, puisque, à contempler notre père et notre mère, ainsi réunis au-delà de la jeunesse, nous en éprouvons une fierté qui, nous semble-t-il, rejaillit sur nous…


D’aucuns me blâmeront peut-être de m’exprimer, au cours de ce livre, avec tant de franchise, devant de jeunes personnes.

Que celles-ci me pardonnent, en égard au but que je poursuis, si j’arrête en plein vol, des rêves et des illusions.

L’expérience venue elles me remercieront, je veux le croire, d’avoir parlé, non comme un écrivain lyrique, mais comme une amie - leur amie.

Elles sont bien trop avisées, nos jeunes filles modernes ! On en voit de trop ingénieuses et de trop érudites !… Il serait indigne d’elles, de leur représenter que tout est beau.

On tenait ce langage, autrefois, aux jeunes innocentes, et les premiers chocs de la décevante réalité les laissaient désemparées et meurtries.

De nouveau, je citerai Stendhal à ce sujet.

« Je soutiens, dit-il, que l’on doit parler de l’amour à des jeunes filles bien élevées. Qui osera avancer de bonne foi que dans nos moeurs actuelles, les jeunes filles de seize ans ignorent l’existence de l’amour ? Par qui reçoivent-elles cette idée si importante et si difficile à donner ?… Voyez Julie d’Espagne se plaindre des connaissances qu’elle doit à Caillot, une femme de chambre de la maison… »

Et Stendhal ajoute :

« Il faut savoir gré à Rousseau d’avoir osé être peintre fidèle. »


On vous a assez dit et redit de vous montrer vertueuse épouse et mère dévouée; économe, et non  dépensière; maîtresse de maison avisée, pour qu’il soit utile de le répéter ici.

Je me résumerai en un mot : soyez les épouses qu’auront promises vos fiançailles, c’est-à-dire, ayez une fois mariées, les qualités, que, jeunes filles, vous aurez affichées auprès des épouseurs.

Ayez aussi pour votre mari cette déférence admirative qui lui plait : s’il est un père tendre, un époux sérieux, il la mérite.

Alors, sans vous humilier, sans abdiquer votre personnalité, reconnaissez-lui cependant cette supériorité de l’homme qui fait vivre sa femme et ses enfants de son travail, ou de son intelligence.

Soulignez la place prépondérante qu’il occupe à la maison; qu’il voie que les enfants sont, comme vous, imbus de son importance. La lui souligner, c’est l’en convaincre et lui donner ainsi conscience de ses devoirs.

Je l’ai dit : malgré les sentiments d’égoïsme que l’on prête volontiers à l’homme, celui-ci est plus embarrassé qu’on ne croit, du chagrin qu’il suscite. Vous le voyez dans maintes occasions, hésiter à se libérer du joug qui lui pèse, et même se décider à rester, dût-il le regretter et en souffrir quand l’amour dont il est l’objet, et qu’il ne paye pas de retour, lui paraît sincère.

Eh bien, une autre raison qui le retient, c’est de se savoir indispensable à la vie des siens. Ce fait constitue pour lui une obligation sacrée, à laquelle il n’ose se dérober, et qui lui inspire, tout à la fois, de la pitié pour les êtres qu’il protège, et une sorte de fierté vis-à-vis de lui-même.

Fierté, pitié, conscience de la responsabilité qui lui incombe…quel que soit le sentiment qui domine, c’est dans cette idée qu’il est nécessaire, qu’un mari trouve souvent la force de rester jusqu’au bout, un homme de devoir.

Et c’est déjà beaucoup ! Ne soyons pas trop gourmandes.


La femme doit s’appliquer à rendre le foyer agréable, à donner à la maison un aspect souriant.

Quoi de plus séduisant pour un époux, que de voir sa compagne évoluer dans un décor arrangé avec goût. Quel repos et quel réconfort, lorsqu’il rentre le soir, désireux de laisser au seuil de la porte familiale ses fatigues et ses soucis, de trouver partout un ordre harmonieux !

C’est l’oasis après la bataille, la rude bataille des jours quotidiens de labeur.

Même les ménages les plus modestes, peuvent révéler cet effort de la femme à rendre l’intérieur plaisant et hospitalier : une fleur dans un vase, un noeud de ruban, des rideaux bien choisis, une propreté méticuleuse, suffisent à épandre, sur toutes choses, un air de gentille coquetterie.

Dans les logis luxueux, la maîtresse de maison pourra déployer une ingéniosité plus artistique : les bibelots, les dentelles, les meubles de goût, donneront au logis, ce cachet personnel que le mari retrouve tous les soirs, avec un plaisir de propriétaire.

Il suffit à la femme d’un peu de volonté et d’application soutenues, pour créer ainsi, autour d’elle, une aimable originalité; il lui suffit d’aimer sa maison et d’aimer à y vivre.

Bien des jeunes femmes ont tendance, au contraire, à s’en désintéresser et à la laisser entièrement entre les mains des domestiques. Elles préfèrent s’en évader, courir les magasins et les expositions que de goûter, chaque jour, quelques heurs de vie intérieure, qui leur assurerait, cependant plus de satisfaction que l’existence vide et futile où elles s’enlisent comme à plaisir. Et leur appartement, aussi confortable soit-il, conserve l’aspect sévère de ces logis de garçons qui ne décèlent aucune présence ni aucune sollicitude féminines.


Parlant de certaines femmes, dont l’influence s’exerce sur l’époux, on dit d’elles, parfois : « Elle sait s’y prendre ! »

Comprenez-vous, mesdemoiselles, toute la signification et toute la saveur de cette expression ? Vous la représentez-vous, cette femme qui s’est s’y prendre ?

Je la vois, aimable et gracieuse, restant calme dans la discussion, résolue dans la douceur, ne buttant pas le mari qui s’obstinent, lui laissant croire que ses avis priment… Et puis, sans avoir l’air de rien, sans y toucher, imposer ses volontés à Monsieur, au point que celui-ci croit prendre une décision, quand, en réalité, Madame la lui suggère.

Elle sait s’y prendre : s’il est orgueilleux, elle ne l’écrasera pas de son érudition ou de son bas bleuisme; s’il est violent, elle ne se renfermera pas, après chaque querelle, dans un mutisme obstiné ou hautin; s’il est égoïste, elle ne se désintéressera pas de ses petites misères… Non ! car elle sait s’y prendre.

Et le mari le plus autoritaire deviendra, sans le savoir, entre ses mains, l’esclave le plus soumis… et le plus heureux.

Et au fond n’exagérez pas votre mérite : il est facile de « savoir s’y prendre ».

Observez autour de vous : malgré les grands airs de maître qu’il affecte, ce n’est jamais le mari qui commande chez lui : madame a le décor qu’elle veut, les domestiques qui lui conviennent, les relations qu’elle choisit. L’une de celles-ci cesse-t-elle de lui plaire ? Voici Monsieur influencé aussitôt, et qui se range du parti de sa femme. Madame donne-t-elle ses soins à de nouvelles amitiés ? Sans arrière pensée, Monsieur tend à ses nouveaux amis, une main largement ouverte.

Tout se ressent à la maison, du règne de la femme : l’ordre et la bonne humeur qui y président, et aussi cet air de prospérité souriante et respectable qui se dégagent des intérieurs heureux.

La différence qu’il y a entre les bons et les mauvais ménages, entre la femme qui sait s’y prendre et celle qui ne sait pas, vient de ce que les unes ont des façons charmantes de gouverner, et les autres, des façons désagréables et maladroites.

Les unes s’attachent leur mari; les autres découragent le leur; ou bien, perdant sur lui toute influence, elles le retrouvent un beau jour si indifférent, si peu soucieux de leur plaire, que ce sont elles-mêmes qui soufrent et songent à partir.


Je ne finirai pas sans aborder le chapitre délicat de la coquetterie.

Encore que les jeunes femmes auront pu, aussi bien que les jeunes filles, trouver à instruire au cours de ce livre, ces dernières pages, leur sont plus spécialement consacrées.

C’est un fait constant, qu’après avoir mis tout en oeuvre pour conquérir un mari, nombre d’épouses ne font plus rien pour le retenir.

Je voudrais que vous vissiez ce que sont, au réveil ou dans l’intimité, certaines beautés que vous admirez en visite, chez vous ou le soir aux lumières.

Tandis qu’aucune robe, qu’aucun chapeau ne leur semblera, tout à l’heure, assez luxueux pour se présenter devant des amies ou faire figure dans le monde, on les voit au réveil, la tête hérissée de bigoudis, le visage enduit de vaseline, le corps vêtu d’un peignoir à peine net, les pieds s’échappant de pantoufles usagées.

Il est bien inutile, n’est-ce pas, de se gêner devant le mari ! Si l’on n’usait pas devant lui les vêtements fatigués, si l’on ne soignait pas sans façon, en sa présence, la beauté dont il sera fier hors de la maison, devant qui le ferait-on, grands dieux !

Ce sont ces mêmes femmes qui, lorsqu’elles sentent leur époux se détacher d’elles, s’écrient, étonnées, en levant au ciel des yeux remplis de larmes : « Tu ne m’aimes plus, que t’ai-je donc fait ? »

Oh ! rien, en effet, ou presque rien !

Elles ont seulement interposé entre elles et le mari, des visions sans grâce qui lui ont fait oublier l’image qu’il chérissait.

Celle-ci peut reparaître, ensuite : derrière la silhouette parée et pimpante, le mari retrouve, par la pensée, les papillotes et le visage huileux du matin.

Que des malentendus, des dissentiments, des querelles arrivent par surcroît, et vous verrez Monsieur ne rentrer à son foyer, que sans gaité ou contraint.

J’imagine pourtant que s’il avait emporté à son magasin ou à son bureau, l’agréable vision d’un visage séduisant et aimable - le même qui sut le charmer au début - il n’eût peut-être pas songé à se créer hors du foyer, les satisfactions qu’il ne goûte plus auprès de sa compagne légitime.

Que l’on ne m’objecte point que la coquetterie est un luxe qui n’est pas à la portée de toutes les bourses : dans un décor modeste, la robe de percale pare tout autant la maîtresse de maison que le vêtement de prix exigé par un logis plus cossu. Et les hommes ne sont pas si fous que de courir après d’inutiles chimères et d’abimer l’heureuse réalité par des regrets inutiles : un ouvrier, un honnête employé, sait trouver « sa petite femme » gentille entre toutes, sous les étoffes sans valeur, qu’elle-même a façonnées.


Il y a deux catégories de femmes qui doivent éviter d’user de fards : les toutes jeunes et les très vieilles.

Rien n’est touchant comme la beauté fanée, qui se résigne à abdiquer, et qui, sans se départir d’une aimable coquetterie permise, se tient simplement à la place effacée qui lui est désormais assignée…

Rien n’est plus joli, aux heures claires de la journée, qu’un visage de vingt ans, qui s’accommode sans en souffrir, de son regard vif et brillant.

La beauté du diable l’emportera toujours, sur la beauté apprêtée, surtout quand l’ambition d’une femme se borne à plaire à un seul : à l’époux.

Mais enfin, très vite les années passent.

Dès vingt-six ans, trente ans, les joues n’ont plus la douceur chaude et lisse des pêches vermeilles; les longs cils recourbés, se sont raccourcis; autour des yeux, la chair n’a plus l’élasticité souple d’autrefois.

Et je parle des jolies femmes.

D’autres, qui tout en ayant un physique agréable, n’ont rien d’extraordinaire, se ressentent plus visiblement encore des premières atteintes du temps : les rides se montrant, les traits paraissent, certains jours, étirés et las.

Gare alors, aux teints bilieux, aux lèvres fines, aux sourcils trop clairs.


Posons nettement la question : la femme qui n’a plus l’éclat de la prime jeunesse, doit-elle apprêter et perfectionner sa beauté, par des moyens artificiels ?

Nous répondons nettement : « oui » pourvu qu’elle garde une sobre mesure; que le soupçon de rouge ravivant les joues pâlies, et le trait léger dissimulant les sourcils moins fournis, par exemple, ne deviennent pas le maquillage exagéré, qui attire les regards sur une passante, et la rend suspecte.

Nous ne pouvons lutter contre les usages, qui s’établissent dans nos moeurs.

Or, il est certain que la mode admet aujourd’hui, qu’une femme « s’arrange ». Les femmes du meilleur monde le font, ne fut-ce que le soir, aux lumières, car l’éclairage électrique est néfaste même aux traits les plus réguliers, même aux plus belles carnations.

Il les maquille lui aussi, mais en sens inverse; il leur donne les couleurs cadavériques d’une peinture impressionniste. Il n’est donc que trop prudent de rétablir la vérité.

D’autres femmes avouent tout uniment, que si elles « s’arrangent », c’est que ça leur va bien.

Mais, près de ces visages rehaussés par l’éclat des fards, comment seront les autres femmes ?

La comparaison, je le crains, ne sera pas à leur profit; et, à moins de se résigner à paraître ternes, anémiés, banales, presque laides, (ce qui est dangereux près d’un mari qui regarde, compare, et conclut, sans toujours rechercher les effets et les causes) il faudra bien qu’elles suivent l’exemple et s’habituent, elles aussi, à manier les pâtes et les poudres.

Et c’est ainsi qu’en s’imposant, une mode devient parfois une nécessité.

D’ailleurs, pourquoi avoir l’air de chercher une excuse à la femme soucieuse de se montrer à son avantage !

N’est-ce pas son devoir ? Ne devons-nous pas nous appliquer à être le plus agréable possible, au physique comme au moral.

Nous le devons à nos maris pour qu’ils nous restent attachés; aux enfants, afin qu’ils grandissent près d’une maman agréable, dont ils pourront dire plus tard, un peu émus et un peu fiers : « Maman !… Mais elle était charmante autrefois… »

Nous le devons à tous : à nos proches, à nos amis, à nos relations, à cause que, de tout temps, le beau fut plus agréable à regarder que le laid.

Je sais : les timorées s’en écrieront en lisant ces lignes.

J’en connais une qui s’est fâchée avec une amie d’enfance, parce que celle-ci se mettait à soigner sa beauté, menacée par l’approche des trente ans.

Notez que cette sévère pudibonde, ne se gêne pas pour porter des cheveux postiches et pour remplir des goussets vides de son corsage.

Alors, je vous le demande : en quoi faux chignon, les appâts « portatifs », sont ils plus « honnête femme » que la poudre rose ou l’imperceptible trait au crayon noir ?

Eh quoi ! la couturière dissimule les imperfections du corps : le bottier cache la difformité d’un pied; le coiffeur fait valoir une chevelure ingrate, et il serait répréhensible de corriger discrètement, sur le visage, les fautes commises par la nature ou par le temps !…

Du moins cet arrangement là ne trompe-t-il personne.

Je suis persuadée, du reste, que les plus timides finissent par s’accommoder elles-mêmes de ce qu’elles ont blâmé… A moins que leur visage ne soit trop disgracieux pour bénéficier de n’importe quel apprêt… auquel cas elles préfèrent - et pour cause ! - continuer à s’abstenir et à se draper dans leur dignité offusquée.

Remarquez-le : l’âpre intransigeance des femmes n’est souvent que le secret dépit de ne pouvoir imiter ce qu’elles décrient.


Cela va sans dire, d’ailleurs, que pour chacune de vous, mesdames, mesdemoiselles, le meilleur juge en la matière sera votre mari.

S’il s’oppose à tout artifice, obéissez !… Obéissez d’autant plus qu’il sera peut-être, qu’il sera je l’espère, parmi ceux qui, au-delà de la médiocrité du visage, entrevoient les vertus de l’âme et l’attrait délicat du coeur…

Car je répèterai ici ce que j’ai dit au sujet des flirteuses : si nous poussons la coquetterie trop loin, n’est-ce pas encore par désir de plaire et de retenir ? Si nous dépassons le but, n’est-ce pas le plus souvent par excès de zèle !

A vous, Messieurs, de nous remettre sur la voie.


A suivre


Commentaires


bottom of page