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N°71 : COMMENT TROUVER UN MARI APRÈS LA GUERRE (chapitre 1)

Dernière mise à jour : 31 août

La jolie femme au foyer - 1915 - Amédéo Modigliani
La jolie femme au foyer - 1915 - Amédéo Modigliani

Nous sommes en 1915, à Paris, en plein conflit mondial. La morcenaise Marie Laparcerie (1878-1959) rédige un texte subtil et engagé « Comment trouver un mari après la guerre ». Ce texte, relevant désormais du domaine public, est disponible grâce au travail de la Bibliothèque Nationale de France qui l’a numérisé en 2017 (source gallican.bnf.fr/BnF).

Nous avons dans ces colonnes souligné récemment l’importance que nous accordions à cette auteur locale, à sa personnalité exceptionnelle.

Nous souhaitons vous faire découvrir la qualité de ses écrits et vous invitons à lire ce texte qu’il faut replacer dans son époque… Gageons que cette lecture vous donnera envie de découvrir les romans de Marie Laparcerie que l’on peut trouver dans certaines librairies spécialisées ou sur le net.

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Chapitre 1


« Le mari était hors de prix avant la guerre, mais après !… »

Ecrit un journaliste, sous un dessin représentant une jeune fille et une vieille fille qui se regardent, consternées.

Il est malheureusement vrai que l’époque glorieuse dont nos époux, nos frères, nos fiancés, sont actuellement les héros magnifiques, aura absorbé par milliers, des existences qui nous furent chères, et que le mariage des femmes françaises sera, pour chacune d’elles, un problème difficile à résoudre.

Or pourquoi s’en défendre ? Il n’y a là rien que très louable : le mariage est le souci constant de toute jeune fille, secrètement avertie qu’en dehors de lui, il n’y a pas de bonheur possible ; persuadée, par son bon sens, qu’on a rien inventé de mieux pour sa sécurité : ni dans les contes bleus où, cependant, les fées vivent dans une perpétuelle félicité; ni dans les romans réalistes où, sous le couvert de la psychologie, les écrivains nous montrent des héroïnes trop aimées qui sombrent, à la fin du livre, dans quelque dénouement fatal.

« Le mariage est, sans contre-dit, l’état de perfection sociale » assure, lui-même, le vainqueur d’Austerlitz, car il faut un penseur à ses heures. Quoi qu’aient pu dire de la femme et de la race françaises nos ennemis extérieurs - l’on devine dans quel but- nous savons bien, nous, qu’il n’est pas de peuple plus moutonnier que le nôtre.

Dans ce pays, où l’on parle si haut de l’émancipation féminine, où des « éclaireuses », plus hardies que leurs timides soeurs, osent lutter d’intelligence et d’initiative avec les hommes, est-ce qu’une veuve, une divorcée, une célibataire, peuvent être vues seules au théâtre, au café voire au restaurant sans en être, elles-mêmes, gênées et sans attirer l’attention ou éveiller la malignité publique ?

En réalité, cette française légère et indépendante, dont parle l’étranger circonvenu, préfèrerait souffrir mille morts, que d’aller s’asseoir, par exemple, à la terrasse d’un café, quand personne ne l’accompagne.

Qui de nous, Mesdames, Mesdemoiselles, n’a éprouvé qu’il en était ainsi !

Je sais certains parents timorés qui considèrent que travailler est, pour la femme, une déchéance; et quand leurs filles, plus vaillantes, se décident, contre leur gré, à scorer le joug, vous voyez celles-ci, comme pour s’en excuser, être plus jalouses de leur réputation, que maintes jeunes filles, mieux défendues par le rang social qu’elles occupent, la situation élevée de leur famille, leur richesse…

J’ai parlé tout à l’heure des « éclaireuses » qui élèvent le flambeau du féminisme, pour marcher vers un Idéal ou vers une Idée, quand ce n’est pas, tout simplement, pour se frayer le chemin dans leur carrière.

Voulez-vous mon avis ? A l’exception de quelques unes d’entre elles à qui la fortune assure une force, et qui luttent - véritablement celles-là- pour améliorer le sort de leurs soeurs moins favorisées, la plupart des autres n’a vu et ne voit dans cette évolution de la femme, qu’un moyen de plus pour conquérir l’homme.

Blaguez, messieurs, blaguez le féminisme… Ah ! que vous êtes peu subtils !…

Le féminisme !… Mais c’est la plus grande preuve d’amour que nous vous ayons jamais donnée. Et croyez-vous que le moyen nous séduise tellement, surtout à nous, les isolées, et que nous ne préfèrerions pas une vie plus conforme à nos goûts ?…

C’est vrai, vous ignorez nos retours, le soir, au foyer désert; et combien peut peser lourdement sur nos épaules, qui restent faibles, la solitude de certains jours de fête trop ensoleillés; et à quel point un coeur de jeune fille peut s’étrécir d’envie devant un bel enfant qu’une maman embrasse; et quel secret désir de vous plaire et de vous retenir, peut cacher le sourire intelligent, la poignée de main « honnête homme » de la femme forte que vous saluez, et qui s’éloigne - l’allure décidée de regard droit, désintéressée, semble-t-il, de tout ce qui n’est pas ses occupations, son travail.

Il n’y a pas de femme forte; il n’y a pas de vierges fortes… Il n’y a que des créatures qui s’efforcent à le paraître - par nécessité plus souvent que par plaisir - et qui se révèlent plus ingénues que toute autre, plus éperdues de douceur et de tendresse, dès qu’un coeur masculin daigne se donner la peine de les conquérir.

« En cherchant la gloire, fait dire Mme de Staël à Corinne, j’ai toujours espéré qu’elle me ferait aimer. »

Rappelez-vous encore le joli sujet de ces mêmes Eclaireuses, la pièce de Maurice Donnay.

L’héroïne, après s’être vouée à la cause du féminisme revient à l’amour. Elle est sur le point d’épouser l’homme qu’elle aime… Au dernier acte, elle va chez lui, et reste un moment seule en scène : elle regarde, avec un plaisir attendri, ce cadre, ces meubles, ces objets qui seront les siens… Alors, elle tend, vers eux, ses bras qu’elle ramène ensuite sur son coeur, dans un geste qui s’extasie, et prend possession, et révèle le sentiment de sécurité que l’on éprouve, après un danger, en abordant au port.

Quelle trouvaille que ce geste, si féminin, qu’il semble qu’un auteur femme seul aurait pu le concevoir et l’indiquer !

j’imagine qu’il a dû émouvoir bien des écouteurs chaque soir, dans la salle.

C’est qu’il synthétise à lui seul la secrète idée tapie sous ce grand mot de féminisme… Il en est le défi - et la revanche !

Mais si la femme éprouve ainsi le désir raisonné autant qu’instinctif, de se rapprocher de l’homme, c’est qu’elle cède, vraisemblablement, en dehors de toute sentimentalité, à des considérations d’ordre plus matériel.

Il lui est difficile, je le répète, d’évoluer seule.

Tout la condamne d’avance, tiraillée qu’elle est en tous sens : tour à tour tentée par le désir d’échapper à la solitude, et de ménager, le terrible, le menaçant, le féroce qu’en dira-t-on.

Si surmontant l’angoisse et le tourment de son coeur solitaire, elle se résigne à être cette vierge forte que défend sa volonté toujours en éveil, elle risque, elle peut craindre en tout cas, de laisser passer le matin merveille de sa jeunesse pour se retrouver seule au seuil de la nuit… Si, au contraire, elle cède, un jour, à l’appel séduisant de l’inconnu : une seule aventure et, aussitôt, la voilà tarée.

Ne dites pas non ! Ah ! la légèreté de la femme française !… Ça m’a toujours fait rire !…

Plus d’une y réfléchit avant que de s’y risquer…

Derrière les rideaux confortables de sa maison chaude et égoïstement fermée, ce juge intransigeant que nous sommes tous, observe.

Or, ayant peu voyagé - le sort considère sans doute que nulle part je ne serais mieux que sous le ciel fleuri de France - donc, ayant peu voyagé, je ne connais pas grand chose à l’esprit et à l’état d’âme des autres peuples. en revanche, j’ai observé le mien. Eh bien, penseur, homme d’action, intellectuel, savant, artiste, artisan ou simple ouvrier, il est bourgeois, terriblement bourgeois… à désespérer de jamais le débourgeoiser, en dépit des efforts de certains de ses contemporains pour l’arracher à sa routine.

J’en vois la preuve dans la réponse que me fit une femme de lettres.

La vie lui fut longtemps difficile; enfin, elle a fait, il y a deux ans, un mariage heureux.

Elle a deux filles d’un premier lit. Et comme je lui demandais :

-Qu’allez)vous en faire ?… Des littérateurs, des artistes ?…

Elle s’exclama, pressée de s’expliquer :

-Ah mais non ! je m’emploierai de mon mieux à les marier très vite… Qu’elles soient donc, le plus tôt possible, de jeunes mamans !…

La vie de famille, le retour aux traditions voilà ce q’on peut espérer de mieux pour ses enfants, quand on a fait soi-même du rude expérience du travail.

-Cependant, objectai-je, l’art… les satisfactions intellectuelles ?…

Elle m’interrompit, et souriante :

-Vous connaissez nos rues encombrées de Paris, à certaines heures du jour !… J’adore passer au milieu des voitures… J’ai le chic, je vous assure, pour les frôler, les éviter, me glisser et me retrouver saine et sauve sur l’autre trottoir… Eh bien, je mourrais de frayeur si je voyais mes filles se livrer à une pareille fantaisie… et quand elles sont près de moi, je deviens provinciale… je n’avance plus, je rétrograde plutôt… Voilà !…

-J’ai compris.


Il est certain que la femme est, et sera longtemps entre victime des lois et de la société, de la morale établie d’après les coutumes, et que, pour faire face aux unes et aux autres, il n’est, pour elle, qu’un moyen : s’assurer la protection légitime de l’homme… La jeune fille comprend d’instinct cette nécessité.


En outre, une sorte de déchéance semble rejaillir - très injustement du reste- sur celles que le sort a vouées au célibat.

La femme qui n’a été ni épouse ni mère est, si j’ose dire, presque répréhensible à nos yeux, comme si elle avait volontairement évité les devoirs de l’amour et de la maternité; tandis que le plus souvent elle porte en elle, au contraire, le regret déchirant d’avoir été frustrée de ces obligations par les circonstances, le manque de grâce ou de fortune.

Je n’ai jamais très bien compris pourquoi Balzac parle avec tant d’âpreté des vieilles filles.

« Ces êtres, écrit-il, ne pardonnent pas à la société leur fausse position parce qu’ils ne se la pardonnent pas à eux-mêmes. Or, il est impossible à une personne, perpétuellement en guerre avec elle, de laisser les autres en paix, et de ne pas envier leur bonheur ».

Sans doute, il y a du vrai dans cette remarque du génial écrivain; mais, pourquoi ne pas atténuer la tristesse de cette constatation par un peu d’indulgence; pourquoi ne pas rappeler ici que, malgré tout, le destin pèse lourdement sur nous, et s’immisce jusque dans notre volonté de lutter contre lui et de nous évader des limites étouffantes, dans lesquelles, tyran cruel - il nous ramène irrésistiblement, et nous tient.

Pour moi, chaque fois que je me trouve en présence d’un de ces êtres « qui ne pardonnent pas à la société leur position fausse » je reste mélancolique et rêveuse comme devant un fait illogique et cruel - injuste quelles qu’en soient les causes…

« Leur regard est oblique moins par modestie que par pudeur et honte… »

Et bien !… Je songe, apitoyée, que ce regard est peut-être d’autant plus oblique, que le coeur a eu d’élans et d’enthousiasmes, à vingt ans !…


Mais enfin plaindre n’est pas remédier à un mal, et nous ne pouvons changer l’opinion de Monsieur Tout-le-Monde. Nos jeunes filles le savent bien, car la lutte pour le mari fut toujours très âpre entre elles.

elle le sera davantage quand reviendront, le front auréolé de gloire, les héros de la plus grande épopée à laquelle Dieu et les hommes aient jamais assisté.

Mais, même si vous réussissez, - l’amour vous favorisant entre toutes - à saisir dans vos lacs cet oiseau rare que sera le mari après la guerre, il vous restera une difficulté non moins grande à résoudre : le retenir.

Autour de vous, vos jeunes amies, celles-là qui, le jour de vos noces, auront papillonné, à vos côtés, en robe rose ou bleue, multiplieront leurs pièges de séduction, dans le but assez compréhensible de vous imiter et de trouver comme vous « acquéreur ».

Je veux bien ne point les suspecter, surtout ainsi à l’avance, de former de mauvais desseins contre votre bonheur.

Néanmoins, je vous crie déjà : casse-cou. Votre époux pourrait bien, comme tout autre, se laisser prendre à leur amoureuse tactique… Et le choix ne sera pas si grand qu’on ne se contentera point d’un divorcé.

C’est dire que le même écueil menacera aussi les épouses légitimes. L’amour rôdera autour des maris sous les tentatives les plus diverses, et les ménages déjà consacrés par le temps se seront pas à l’abri, eux non plus, des surprises et des cataclysmes, si la femme ne se fait elle-même la gardienne avertie de son foyer.

Donc, lutte avant le mariage, lutte après; lutte entre les vierges sages, leurre entre celles-ci et l’épousée, à peine initiée, et par cela inexpérimentée; lutte entre la jeune fille parée de l’éblouissante jeunesse et la jeune mère qui, pourtant, pourrait se croire invincible près des berceaux douillets.

La guerre des tranchées finie, une autre commencera qui aura bien ses victimes, ses flèches empoisonnées… aussi ses doux triomphes.

Tant pis pour les plus faibles : la victoire restera aux plus habiles ou aux plus avisées…


Et c’est pourquoi nous, qui, déjà plus âgée, avons fait de la vie la rude expérience, désirons que cette connaissance serve au moins aux jeunes coeurs ouverts, comme l’était le nôtre, à la tendresse et à l’amoureuse bonté.

Nous allons tâcher, dans cette brochure, de les aider de nos conseils.

Nous aurons atteint notre but si, à la fin du livre, notre lectrice se sent mieux armée pour cette double bataille qui se livrera bientôt, chaude, ardue, décisive : attirer le mari d’abord, le garder ensuite.


A suivre


(Illustration : La jolie femme au foyer - 1915 - Amédéo Modigliani)





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