N°72 : COMMENT TROUVER UN MARI APRÈS LA GUERRE (chapitre 2)
- La Nouvelle Morcenx
- 31 août
- 15 min de lecture

Nous sommes en 1915, à Paris, en plein conflit mondial. La morcenaise Marie Laparcerie (1878-1959) rédige un texte subtil et engagé « Comment trouver un mari après la guerre ». Ce texte, relevant désormais du domaine public, est disponible grâce au travail de la Bibliothèque Nationale de France qui l’a numérisé en 2017 (source gallican.bnf.fr/BnF).
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Chapitre 2
Le nombre des élues sera restreint, nous l’avons dit.
Il faudra donc, avant toute chose, vouloir être soi-même parmi ces élues.
La volonté est une force irrésistible contre laquelle viennent se briser les difficultés, en apparence les plus insurmontables… Elle réduit à néant les questions d’argent, des lieux, d’intérêts… Elle pare la laideur d’un charme piquant, inspire à la plus timide, le regard, les mots, qui décident, tout à coup, de son bonheur.
Que cette idée : « je veux me marier » vous poursuive partout : dans les plaisirs innocents que vous prenez aussi bien qu’aux heures plus graves du travail; qu’elle renforce en vous, le désir instinctif qu’ont la plupart des femmes, de rester honnêtes, parce que c’est, au fond, bien plus facile et bien plus sûr; qu’elle inspire vos mouvements, vos paroles, afin qu’une saine gaité s’allie, en vous, à une certaine réserve.
Attirer sans inquiéter, tout est là…
Combien qui, dans leur impatience à réaliser un rêve naturel et légitime - impatience touchante en somme - dépassent la mesure, en éveillant la méfiance des épouses par une excessive coquetterie.
Je ne les ai jamais tellement blâmées, ces flirteuses !…
Je sais si bien que beaucoup n’ont d’autre intention, sous l’oeillade provocante et les allures décidées, que de conquérir le mari, pour vivre auprès de lui, bourgeoisement.
Je les ai plaintes plutôt, les jugeant leur propre victime, chaque fois que j’en ai vues manquer ainsi le but, par excès de zèle.
Je ne saurais trop vous recommander de ne pas attacher une importance exagérée à la question taille, élégance, physique. La beauté n’est pas indispensable à l’homme; et, pourvu qu’une mâle figure respire l’honnêteté et la bienveillance, tenez-vous pour bien servies.
Du reste, la laideur est parfois sympathique. Je vais plus loin : chez un homme, veuillez me faire cette concession, je la préfère, quant à moi, aux traits efféminés ou trop réguliers.
J’ajouterai que la laideur est comme la beauté, comme tout ici bas, une affaire d’habitude.
Les gens, les objets familiers, le décor où nous vivons, et même les rues et les maisons de notre ville, prennent, avec le temps, une « physionomie » qui n’est pas celle qu’ils avaient au moment précis où ils se sont présentés à nos yeux, ou que nous retrouvons en eux, par la suite, après une absence.
Il semble de même, qu’un voile s’interpose entre nous et les visages que nous voyons fréquemment, pour atténuer leur charme ou leur manque de grâce.
A contempler chaque jour une jolie femme, on est moins frappé de sa beauté : « Il n’est rien de si grand, rien de si admirable, dit Lucrèce, le poète latin, que, peu à peu, l’on ne regarde avec moins d’admiration. »
Par contre, à vivre continuellement près d’un mari d’apparence médiocre, on en oublie les défauts physiques.
Et puis, je serai franche : en vous conseillant l’indulgence, c’est à vous que je pense et non point aux maris; c’est votre intérêt qui me guide plus que le leur… Entre deux maux, prenons le moindre : mieux vaut, convenez-en, un époux imparfait que l’insaisissable prince de vos rêves.
Celui-là est peut être charmant avec ses belles manières et sa figure avenante. Il n’a qu’un défaut, mais capital ! celui de ne loger que dans vos cervelles. Restez-lui fidèle : il se moquera de vous, au point que vous vous retrouverez trahie par lui, abandonnée de tous, à l’âge où, le visage déjà marqué et le teint bilieux, on soupire avec regret : « Si j’avais su ».
Imaginez ceci : vous dédaignez aujourd’hui un amoureux que vous rencontrez quelques années plus tard, heureux auprès d’une épouse…
Complétons le tableau : un enfant les accompagne.
Quelle amertume pour vous, si vous n’avez que la solitude de votre coeur à opposer à cette aimable apothéose ! Car un sentiment très humain nous porte à regretter ce que nous ne sûmes pas saisir, quand nous nous apercevons que d’autres ont su s’en accommoder.
Si les jeunes filles promptes à dire « non » sous le prétexte futile qu’on est « laid », ou « mal tourné », ou « lourd d’allures », s’inspiraient de ces pensées avant de répondre, beaucoup, je gage, n’auraient pas à déplorer, plus tard, une vie incomplète et gâchée.
Il faudra y réfléchir, mesdemoiselles, après la sanglante partie d’échecs que joue le monde en ce moment.
Dans une conférence que fit Jean Richepin sur la Marseillaise, avec cette éloquence persuasive et cet enthousiasme communicatif qu’on lui connaît, le poète de la Mer et des Blasphèmes, expliquant ceci :
« Au moment où les armées allemandes s’avançaient sur Paris, le Kronprinz et so l’état-major, exaltés par la joie… un peu trop prématurée, de la victoire, s’arrêtèrent pour faire un festin « Kolossal ».
« Naturellement, il leur fallut de ce vin d’ambroisie qui nous vient de Champagne.
« Or, celui-ci n’entend pas subir le joug étranger, aussi leur joua-t-il un tour à sa façon : il enivra si bien le prince royal chef et son état-major, que tous, étourdis, assommés, - cela s’appelle, que mes gestes lectrices me pardonnent, cuver son vin - roulèrent sous la table…cependant qu’il aurait fallu rouler ailleurs. »
Et voilà comment les poètes écrivent l’histoire pour le plus grand régal de ceux qui les écoutent.
C’est le même qui contait encore l’anecdote suivante :
« Dans nos pays envahis, un officier prussien ordonne à un de nos paysans d’ensemencer sa terre. Et lui, dé répondre, avec cet air ni figue ni raisin qu’ont nos rusés madrés de campagne :
« Oh ! J’veux ben, moi… Seulement c’est peut-être ben elle qui voudra pas produire… »
Le conférencier n’eut pas besoin de donner de plus amples explications : ses mots et sa pensée avaient dépassé la rampe, et, jusqu’aux tout derniers rangs des fauteuils, nous électrisaient tous.
Donc il est entendu que la France est la fille préférée des Dieux…
Il est entendu que nos coteaux et nos clochers, nos blés et nos champs, nos cours d’eaux, notre vin clair de Bourgogne, et celui-ci, plus pétillant et couleur de topaze, ont , comme vous, comme moi, l’âme, le coeur, l’esprit français…
Il est entendu que notre terre retournée, bouleversée, déchirée par le fer et par le feu, opposera toujours à l’envahisseur qui la convoite « le miracle » par quoi elle finit toujours par triompher.
Je crois qu’une France nouvelle et grandie naîtra des heures que nous vivons…
Je crois que, purifiée par l’héroïsme de ses fils, ramenée au sens de la vertu et du beau, elle se tournera plus volontiers, désormais, vers ce qui est moral et sain.
Il se pourrait alors, que la demoiselle pimpante et provocante des bals et des villes d’eaux fut « mal portée ».
Je ne dis point que l’amour cessera d’être aveugle ; du moins, verra-t-on aussi le mérite et la réserve triompher souvent.
Nos héros qui auront frayé avec la mort si longtemps, et dont beaucoup reviendront fatigués, blessés ou mutilés, dans notre beau pays, enfin reconquis, auront le désir impatient de se réfugier près de la femme, de goûter à ses côtés, la tendresse dévouée qu’elle leur dispensera.
C’est dire qu’ils éviteront l’inconstance et la coquette, pour tendre leurs mains vers des fiancées susceptibles de sur assurer la quiétude que, là-bas, dans leur enfer, ils escomptent, déjà, j’en suis sûre.
Adoucissez votre voix, vos regards, vos gestes, naturellement doux, pour conquérir ces grands enfants qui auront l’âme endolorie des malades.
Qu’ils pressentent en vous, la future épouse, consciente de sa tâche, et non point l’évaporée qui ne voit dans le mariage que le moyen de s’arracher à la tutelle des parents, pour s’affranchir près du mari.
Qu’ils oient aussi confiants en votre naturelle honnêteté.
L’idée d’être trahis par leur femme fut de tout temps la terreur des époux. Même quand ils n’ont plus pour elle qu’un sentiment d’amitié, voire d’indifférence, tout leur être se révolte contre la suprême injure; quand ce n’est pas l’amour qui proteste en eux, c’est l’égoïste sentiment du propriétaire se sachant volé.
Plus que jamais, je crois, les fiancés seront désireux de s’attacher une compagne de tout repas et dirent avec Henry Bataille :
« On dit que l’idéal du mariage est de ne faire qu’un… Toute mon ambition à moi est de ne faire que deux. »
Les filles d’ouvriers, habituées, dès le berceau à l’idée du travail, prennent tout naturellement un état.
Les jeunes filles appartenant à des familles bourgeoises ou ruinées, le font moins aisément, guidées en cela part leurs parents mêmes :
« Notre fille est jolie, gracieuse, nous avons des relations, nous arriverons à la placer. »
Les voilà, ceux qui ont la faiblesse de considérer le travail comme une déchéance !
J’ai observé que c’est surtout dans les familles de bourgeoisie récente que se rencontre le plus ce travers… Qu’ils interrogent leur mémoire cependant !… Qu’ils regardent autour d’eux, parmi leurs proches : il doit bien y avoir quelque cousin ou quelque vieille tante venus à Paris en corsage de pilou, ou en habits de toile.
Et comme ils ont tort, dans l’intérêt même de leurs enfants, de raisonner de la sorte !…
Encore que j’aie parlé plus haut de la méfiance de ces esprits arriérés devant les femmes exerçant un métier, c’est, cependant, pari celles-ci que, de plus ne plus, les hommes choisissent leur compagne. Ils les préfèrent aux désoeuvrées qui n’ont d’autre fortune que leur beauté, et les habitudes de luxe prises pour parer cette beauté, en vue de capter les épouses.
Tant de carrières s’ouvrent aux femmes, par surcroît, qu’il vous est facile d’en choisir une, dont l’élégance vous relève à vos propres yeux et vous distingue de la classe ouvrière, si tant est que vous mettiez votre orgueil à en être distinguée.
Il est vrai, le rôle naturel de la femme serait de rester au foyer; mais, puisque il convient de le créer avant tout et qu’on y parvient plus sûrement par le travail, à défaut de fortune, il n’y a qu’à considérer celui-ci comme un moyen transitoire dont on peut tout espérer, ainsi que je l’ai expliqué au début.
Et puis, malgré les préjugés établis, les considérations erronées dans lesquelles on s’obstine encore, l’esprit français n’en est pas moins ouvert aux idées nouvelles.
Une femme avocat, une femme médecin, éveillent autour d’elles une sympathie qui n’empêche pas la considération.
Il n’y a donc pas à craindre que le fait de suivre une carrière jette un discrédit sur votre moralité, à condition, bien entendu, que vous ne donniez pas lieu à la médisance de s’aiguiser sur vous.
Une jeune fille qui veut se garder, toute partout le moyen de la faire; et quand elle porte vraiment en elle l’esprit d’honnêteté, elle sort indemne de la flamme qui peut la surprendre et l’éblouir un instant, mais qui ne l’atteint pas.
A quoi vous aura servi toute votre sagesse au contraire, si, ayant tenu à l’affirmer en restant inactive et bien gardée près de vos parents, vous vous retrouvez, ceux-ci morts, seule, et ni assez fortunée pour éviter une existence mesquine, voisinée la gêne, ni assez expérimentée pour utiliser votre intelligence ou vos doigts.
Il faut vous convaincre également que, dans le cas où la destinée vous réserverait de vieillir sans époux, c’est encore par le labeur quotidien que l’on est le plus susceptible d’atténuer ou d’enrayer les inconvénients du célibat.
Une femme qui gagne sa vie et, à plus forte raison, qui la gagne largement, est toujours à même, d’ailleurs, d’attirer le mari.
Je prévois vos objections : « Eh quoi ! L’on m’aurait laissée de côté âcre que j’étais sans fortune, et l’on me rechercherait plus tard, à cause de ma situation acquise. »
Et pourquoi pas !… Et qu’est-ce que cela peut vous faire, du moment que vous y trouverez votre satisfaction ou votre avantage ?…
Votre partenaire y gagne-t-il plus que vous ? Tant mieux, c’est une façon comme un autre de vous l’attacher. Et de quel droit voulez-vous à tout prix que ce soit plutôt vous qui, en vous mariant, réalisiez la bonne affaire…
Les jeunes filles que l’on épouse « pour leur argent » ne font pas tant de manières, et elles n’ont pas tort : l’intérêt ne tue pas forcement la sympathie ou l’amour… Souvent il les provoque. Il y a des mariages heureux parmi ceux basés sur des questions de chiffres… Les jeunes gens font bien de choisir, quand ils le peuvent, des fiancées dotées. Ne soyons pas injustes : il y a partout des jeunes filles charmantes… même dans les lieux fortunés.
Allez la vie est courte : courez au plus pressé qui est de ne pas laisser passer l’occasion, à quelque heure qu’elle se présente, de réaliser un bonheur normal et permis.
Je sais aussi que la fougue impatiente de vos vingt ans, fait fi en ce moment, de ce mari qui pourrait ainsi survenir si tard :
« Je m’en désintéresse… »
Outre que je n’écris pas ce livre seulement pour vous, jeunes filles, mais que je vis à un public féminin plus étendu, je puis encore vous répondre qu’avec le temps, on revient de ces intransigeances.
Lorsqu’une femme n’a plus les aspirations lyriques de la prime jeunesse, ne croyez-vous pas que toute velléité sentimentale soit morte en elle.
Même si parmi les résignées, laquelle oserait affirmer, sans se troubler, que le rêve de ses vingt ans ne sommeille pas dans son coeur - celui-là un peu engourdi, c’est vrai, un peu las et désespéré d’attendre !…
Elle doit s’avouer à certaines heures, qu’il lui serait bien de vivre près d’un compagnon amical et affectueux - sans plus. L’idée a changé de nom, mais, au fond, elle est la même : c’est une autre forme de l’amour que l’on réclame : c’est l’affection, c’est l’amitié.
Et l’on a raison !
Il est vrai que dans l’ivresse des jeunes années, nous pensons que l’on ne peut être heureux sans l’exaltation et sans enthousiasme…
La musique qui se fait soudain, la fleur qui meurt, le soleil qui disparaît à l’horizon et marque la fin d’un beau jour, la beauté qui chaque jour se désagrège, l’amour qui s’effrite et fait de la fiancée resplendissante d’hier l’épouse plus effacée… tout est décevant !… Tout, jusqu’à l’instant où l’on s’aperçoit que l’on peut faire son bonheur de plaisirs plus simples : que le retour innocent des saisons, la succession monotone des matins, la douce clarté de la lampe qui prolonge les soirées d’hiver, la flamme claire de la cheminée où l’on vient réchauffer ses membres moins agiles… ont leur charme.
Des facétieux ne manqueront pas de souligner ici qu’il n’y a plus de cheminées depuis qu’il y a des calorifères… A tant de figures de réthorique, j’ajoute, moi, celle-ci : le mot pour l’idée.
Admirez d’ailleurs quelle bonne volonté l’homme apporte à se rendre heureux quand même et malgré tout.
Vous le voyez, dès l’adolescence, surexcité d’abord par de grands désirs d’ambition, de gloire, de fortune… Quel monde assez puissant, assez insaisissable pourrait se mesurer avec la force qui le possède, le soulève, le pousse, et le multiplie !
Le pas sonore, le poing fermé, la tête haute, il est ce gladiateur qui connaît la sureté de ses coups…
Laissez passer quelques années… Le voilà qui limite son bonheur à la partie de pêche des dimanches, à la tasse de café bien sucrée qu’il prend chaque jour, à la joie d’élever son verre aux solennités de famille qu’il préside…
Bref, il n’aspire plus qu’à être un brave honnête homme.
Déjà, il s’achemine, sans révolte, vers l’âge plus tranquille où la femme comme l’homme commence à philosopher.
Philosopher, c’est s’apprêter à mourir assurent Cicéron et Montaigne. Et pour une femme, s’apprêter à mourir, c’est mourir de toutes les façons… Et le renoncement à la beauté doit être plus pénible que l’autre…
A ce moment surtout, elle goûte le charme d’avoir un compagnon à ses côtés.
En réalité, jamais il ne lui fut plus nécessaire.
J’ai maintes fois constaté que, le désespoir d’une femme âgée qui perd son mari, a quelque chose de plus poignant que la douleur d’une jeune veuve.
Chez celle-ci, c’est de l’emportement, de la souffrance exaltée. On croit reconnaître, dans l’autre, l’angoisse et l’effroi du tout petit qui voit partir sa mère et s’affole, de l’aveugle qui serait condamné à marcher seul.
Donc, s’il est vrai que la présence du mari n’est jamais pas précieuse à une femme que dans l’automne et à l’hiver de sa course, ne le dédaignez pas, à quelque heure de votre vie qu’il puisse survenir.
Je conviens que la question maternité n’est pas secondaire ; lorsqu’une femme n’a pas d’enfant, pour s’être mariée trop tard, il y a là une cause légitime de regret.
Mais enfin si tel est votre destin, vous n’y pourrez changer grand chose. Autant vous rebeller parce que vous vous voyez blonde et non point brune, petite au lieu de grande, ou que vous n’êtes pas la femme en vue dont le nom remplit les feuilles quotidiennes des journaux.
Fais énergiquement ta lourde et longue tâche
Dans la vie où le sort a voulu t’appeler.
Ceci acquis, elle me plairait assez la crânerie de la femme qui, ne se laissant rebuter ni par l’attente ni par les difficultés, avouerait poursuivre son but quand même : s’obstiner dans la recherche de ce mari qu’il lui faut disputer comme un autre bien terrestre : comme la fortune, la gloire ou le bonheur, que certains n’accusèrent qu’aux prix de lents efforts !…
Oui, elle mue plairait, cette femme qui serait assez courageuse pour se tenir ce raisonnement :
« L’on me méconnait, l’on passe sans soupçonner ou sans vouloir comprendre tout ce que contient mon voleur de généreux… Soit, attendons… Après tout, les années de force et de jeunesse nous ont été données pour que nous nous rendions utiles. Seules ont le droit de réclamer le repos ou de se plaindre qu’ils n’ont pas réalisé leur rêve, ceux dont la taille et le front se sont longtemps courbés sur la peine… Alors au travail !…
« Ainsi résolue, je marcherai vers le point que je vise… Qu’importe un peu plus tôt ou un peu plus tard, pourvu que j’y parvienne. La grande affaire n’est-elle pas de préparer l’avenir, c’est à dire, hélas, notre vieillesse… et de la préparer de toutes façons, afin que notre voleur ait chaud comme notre corps.
Et même si l’injustice destinée me refuse à tout jamais la récompense que j’escompte - ce foyer auquel une femme aspire comme à l’air et à la lumière - du moins je la défie de me voler l’illusion et l’espoir qui vont m’aider à parcourir la route… »
Celle-là, ô lectrices, accepterait sans scrupule et sans fausse honte le fiancé, même s’il venait tard, même s’il cédait, non seulement à un secret penchant, mais aussi à une attirance plus intéressée.
Et ne dites pas que cette femme serait ridicule, je la trouverais touchante.
Et ne dites pas que cet être d’exception n’existe point.
Tout existe !… Et c’est dans ce grand Paris tumultueux, tourmenté et brûlant, dans ce Paris où la jeune fille qui lutte et se défend, le fait en connaissance de cause, c’est là que poussent les fleurs les plus rares et les plus exquises.
Mais enfin ne soyons pas trop pessimistes.
Supposons que le travail vous serve très vite selon vos souhaits.
Il en résultera à votre foyer un accord solide et durable ; car l’époux trouvera en sa femme, dont l’intelligence et la volonté d’initiative auront été développées par l’action, une aide qui ne pourra qu’augmenter sa tendresse, et peut-être une collaboration précieuse, pour peu que vos carrières, à vous deux, soient susceptibles de se servir ou de se compléter.
En dehors de ces considérations, ne perdons pas de vue, que les hommes ne seront embarrassés, quant au choix d’une épouse, que par le nombre.
Mettez de votre côté le plus de chances de leur plaire; et, fussiez-vous jolie, eussiez-vous quelque fortune, ajoutez à votre couronne ce fleuron : une carrière acquise par vos efforts personnels.
On vous saura gré de n’avoir pas trop osé compter sur les avantages naturels que vous donne votre naissance… Et puis, même lorsqu’un mari est désireux que sa femme s’attache exclusivement au foyer, il n’est pas fâché de savoir que, le cas échéant, elle pourrait se tirer d’affaire seule.
Il est en tout cas flatté qu’en l’épousant, elle n’ait pas été guidée par l’unique souci de s’assurer la matérielle.
La tâche sera toujours plus aisée, il faut en convenir, pour les jeunes filles ayant une dot importante. Je pense toutefois que leur ambition ne se borne pas à être « casée », et qu’elles aspirent à « être choisie » tout comme d’autres sans fortune.
Or, je réfléchis que les bals sont fermés manque de valseurs; que l’on ne sort plus; que l’on s’habille à peine, et, qu’au total, toute distraction fait défaut. Les heures doivent paraître longues à ces futures « petit madame » qui n’ont pour tout occupation, que de se laisser vivre.
Pourquoi ne sépareraient-elles pas l’avenir elles aussi. On a beau payer très cher, on n’est jamais parfaitement servi.
Qu’y aurait-il de déshonorant, par exemple, à apprendre soi-même la cuisine, ne fut-ce que pour avoir ses recettes à soi, et les indiquer à ses domestiques ?…
En quoi serait-ce déchoir que de guider la femme de chambre, occupée à des travaux de couture, si l’on avait appris soi-même à tailler une robe d’enfant, à manier les dentelles et les étoffes légères ?…
« Que m’importe à moi, me disait un jeune homme, qu’une fiancée m’apporte trente mille francs de rentes, si elle en absorbe le double, et si ma propre fortune, ou mon travail, ne suffit plus à équilibrer notre budget. »
C’était parler sensément.
Que Jenny, Lucie Hmar, Hellsterne, soient les fournisseurs attitrés de madame; que monsieur ait, lui aussi, les meilleurs faiseurs pour ses vestons et gilets; que bébé paye dix ou quinze louis chez Marindaz le moindre « amour de vêtement »; que d’autre part, le luxe de la maison corresponde à l’élégance des maîtres, et voyez ce que peut coûter un pareil train de vie.
Seules les grandes fortunes y peuvent suffire; les autres sont tenues de compter, ou bien sont infailliblement appelées à disparaître.
Une de mes amies, jeune, charmante, et je crois, à tout jamais à l’abri du besoin, grondait si justement sa cuisinière devant moi et lui indiquant, avec une telle précision, ce qu’elle aurait dû faire pour la réussite d’une pièce de pâtisserie des plus compliquées, que je ne pus m’empêcher de marquer ma surprise.
Mon amie se mit à sourire :
« Mais je suis un premier prix de cuisine, me dit-elle. »
Je compris du coup.
Le mari, qui est un gourmet, apprécie fort le talent de sa femme. Je ne dis pas que ce talent la rend plus chère - quoique je n’affirme pas non plus le contraire - mais je remarque maintenant qu’il ne dissimule pas sa satisfaction au moment des repas.
Ah ! Comme cette guerre peut préparer admirablement, le rôle futur des femmes au foyer !…
Et quel meilleur moyen d’attendre ces fiancés, ces époux qui combattent là-bas, que d’échafauder déjà leur bonheur ?
Je voudrais que les jeunes filles allassent au mariage comme au sacerdoce : avec toute leur âme et toute leur bonne volonté. Les Français de votre génération en sont dignes, mesdemoiselles, comme ils sont dignes de votre amoureuse admiration.
Celles qui auront cette sincérité mériteront d’être choisies entre toutes… Et elles le seront !…
Parce que je crois en l’efficacité des armes que je conseille, et parce que, quoiqu’on dise, il n’y a pas d’effort perdu : le hasard, les circonstances finissent par nous servir selon nos efforts.
Et quel plaisir plus tard, une fois le calme revenu, les nids formés, de dire à l’époux, ravi de découvrir en sa femme tant de trésors réunis :
« Eh bien oui, tandis que tu étais au feu, je me préparais à t’aimer intelligemment… toi que je ne connaissais pas… Et c’était bien le moins, puisque, à travers l’idée de ton devoir et de ta patrie, tu exposais ta vie pour moi… que tu ne connaissais pas. »
A suivre.




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